Les médias américains relaient la campagne européenne contre la peine de mort


L'Europe fait vaciller l'Amérique


Le New York Times avait prévenu ses lecteurs dans son éditorial du 13 mai :


"La peine de mort commence à devenir un obstacle diplomatique." Ces dernières semaines, la plupart des grands quotidiens lui ont emboîté le pas, de même que les magazines Time et Newsweek et les trois grands networks, ABC, CBS et NBC. Les médias américains s'intéresseraient-ils - enfin - aux campagnes européennes contre la peine de mort? Oui. Le message ferme et unanime lancé à Strasbourg par les membres du Conseil de l'Europe au premier Congrès mondial contre la peine de mort a été repris sur CNN et dans les principaux organes de presse. Auparavant, le voyage de George W. Bush en Europe - un George W. Bush qui traînait dans son ombre le cadavre de Timothy Mcveigh - n'avait fait que confirmer les inquiétudes des éditorialistes américains : la peine de mort, soulignent-ils, est sortie du cadre strictement moral et s'est déplacée, grâce au lobbying de plusieurs associations comme Ensemble contre la peine de mort, sur un terrain beaucoup plus dangereux pour les États-Unis, celui des relations diplomatiques : L'administration Bush peut balayer les critiques européennes en les accusant d'être déplacées, hypocrites ou erronées, rappelle Time. Mais dans un monde où les valeurs démocratiques et les droits de l'homme sont devenus des facteurs clés des relations internationales - des relations largement dominées par les États-Unis - il pourrait y avoir un prix à payer pour l’isolement diplomatique lié a la pratique de la peine de mort. "

Le ton a changé. Longtemps, les médias américains se sont contentés d'évoquer du bout des lèvres les pétitions de militants, les demandes de grâce présidentielle ou encore les visites d'hommes politiques européens. " Nous réagissions un peu en provinciaux, reconnaît Robert Burtman, pigiste pour l'hebdomadaire alternatif Houston Press. Les gens avaient tendance à ronchonner: "On va quand même pas se laisser donner des leçons de morale par les Européens"..."

Mais, pour la première fois depuis vingt ans, l'opinion vacille. Une majorité d'Américains se dit persuadée que des innocents ont été exécutés, et soutient la suspension des exécutions. Quel rôle ont joué les campagnes européennes dans cette évolution ? Un rôle certain, comme dirait l'autre, c'est à dire évident et... difficile à mesurer "Je crois que le Texas s'est senti un peu honteux, l'an dernier, lors du ramdam médiatique sur la peine de mort, analyse Jim Yardley, correspondant du New York Times à Houston (Texas). Pour la première fois, beaucoup de Texans sesont dit qu'il serait temps de réformer le système. Le Texan moyen a-t-il entendu parler de la mobilisation des Européens contre la peine de mort ? Probablement pas. Et s'il en avait entendu parler, il s'en foutrait."

On se passera des Texans pour le moment En attendant, ce sont les grands médias, du Today show de NBC (l'émission phare des matins américains) aux journaux du soir, qui soulignent le risque de pourrissement de l'image des États-Unis auprès de ses alliés. Certains donnent même la parole aux militants européens. time a ainsi offert une tribune à Robert Badinter, qui a mis crûment les États-Unis devant leurs responsabilités "Je de mande à mes amis américains : où est votre place dans le monde, vous qui espérez exercer un leadership non seulement technologique et militaire, mais aussi moral et culturel ? Parmi lesdémocraties qui ont aboli la peine de mort ? Ou avec.la Chine totalitaire et l'Iran fanatique ? "

Aujourd'hui, les éditorialistes vont encore plus loin. Il serait peut être temps, affirment-ils, d'appliquer chez nous les leçons que nous donnons aux autres. Sinon, la position américaine sur la question des droits de l'homme sera systématiquement rejetée par nos alliés européens. C'est ce qu'a exprimé Felix Rohatyn, l'ancien ambassadeur des États-Unis en France, qui, à peine rentré à New York, a annoncé sa "conversion" dans la presse et son soutien à un moratoire. Autant de preuves que la mobilisation européenne n'est pas vaine.

Olivier Pascal-Moussellard

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