LA FUSILLADE
Le
matin du 26 juin 1975, les habitants d'Oglala remarquèrent qu'un grand
nombre de forces de police paramilitaires (goons, police du BIA, officiers
de police U.S, équipes SWAT du FBI) se massaient dans la région.
Vers 11h30, les Agents Spéciaux du FBI (SA) Ronald Williams et Jack
Coler pénétrèrent en voiture sur la propriété des
Jumping Bull, poursuivant un pickup truck (camionnette) rouge qu'ils
présumaient conduit par Jimmy Eagle. Eagle, un jeune Oglala,
était recherché par le FBI pour le vol d'une paire de bottes de cow-boy.
Ainsi, malgré ce que prétendait le FBI, à savoir
qu'il ne pouvait enquêter sur les nombreux meurtres dont étaient
victimes les membres de l'AIM et ses sympathisants par "manque d'effectifs",
deux agents avaient été désignés pour s'occuper
d'un adolescent suspecté tout au plus, d'un petit vol. De toute façon,
les agents n'avaient pas de mandat d'arrêt contre Eagle. Quand les deux
membres de l'AIM qui se trouvaient dans le pickup truck virent qu'ils
étaient suivis par les agents Coler et Williams alors qu'ils roulaient
en direction du camp de l'AIM, ils s'arrêtèrent et, craignant une attaque
des goons, ils descendirent du véhicule avec leurs armes. Selon
un des occupants du pickup truck, les agents s'arrêtèrent
et sortirent de leurs véhicules l'arme à la main, et un des agents,
probablement l'agent Coler, tira sur eux avec un fusil. Les hommes de
l'AIM ripostèrent et, comme les agents se mettaient à couvert derrière
leurs voitures, ils retournèrent dans le pickup truck et se dirigèrent
à l'Est de la propriété des Jumping Bull. Les agents continuèrent
à tirer sur eux alors qu'ils s'éloignaient.
En entendant des coups de feu venant de la direction de la propriété
des Jumping Bull, ceux qui se trouvaient dans le camp de l'AIM crurent
qu'ils étaient l'objet d'une attaque des goons ou des vigilantes.
Ils accoururent en direction du bruit de la fusillade, les armes à la
main et, voyant deux Blancs en costume civil tirant sur les maisons,
ils commencèrent à riposter. En peu de temps, des renforts fédéraux
commencèrent à envahir la propriété des Jumping Bull.
Quand il devint évident qu'ils étaient encerclés
par un grand nombre de policiers bien armés, les membres de l'AIM
décidèrent de prendre les agents en otage comme monnaie d'échange
avec les assiégeants. Pour cela, ils se déployèrent vers
l'Ouest, à l'abri des arbres qui bordent la crique de White Clay
et s'approchèrent d'eux par derrière. Quand ils ne furent
plus qu'à 50 mètres des agents, ils virent le pickup truck rouge s'approcher
des agents et s'arrêter. Ils entendirent plusieurs coups de feu
provenant de l'endroit où se tenaient les agents puis virent le pickup
truck s'éloigner. Quand ils s'approchèrent des agents, les hommes
de l'AIM découvrirent qu'ils avaient été tués
tous les deux. Dans leurs voitures, ils trouvèrent des équipements
marqués : FBI Denver. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'ils surent
que les agresseurs étaient du FBI.
On apprit plus tard que les deux hommes du pickup truck rouge s'étaient
aussi approchés des deux agents dans l'intention de les capturer.
Le conducteur arrêta le truck près des agents et son compagnon sortit
un fusil AR-15 et s'approcha d'eux. Selon sa version, quand l'agent
Williams leva son revolver et fit feu sur lui, il réagit en ouvrant
le feu sur les agents, les tuant tous les deux. Il remonta alors dans
le pickup truck , puis ils s'éloignèrent, dépassèrent Adams (Agent
Spécial du FBI) et Two Bulls (officier de la police du BIA) qui étaient
cachés là et quittèrent les lieux.
En début d'après-midi, le nombre de policiers impliqués dans la fusillade
atteignait près de 200. Ils faisaient face à un groupe de huit personnes,
et quelques adultes et adolescents venant du camp de l'AIM. À 16h30,
le FBI, renforcé par des équipes du SWAT en provenance de Minneapolis
et Chicago, décida qu'il disposait des forces suffisantes pour donner
l'assaut. A ce moment, Edgar Bear Runner, un sympathisant local de l'AIM,
fut envoyé pour essayer de négocier une reddition. Quand Bear Runner
revint, annonçant que les agents Coler et Williams étaient morts et
que les défenseurs avaient disparu, le FBI donna l'assaut, gazant les
maisons et tirant à vue sur n'importe quoi.
Joe Stuntz Killsright, un membre de l'AIM, trouva également la
mort dans la fusillade ; selon le rapport officiel, il fut tué par une
balle tirée de loin par un tireur d'élite du FBI et qui l'atteignit
au front. Des rapports contradictoires sur la nature des blessures de
Killsright ont fait naître le soupçon qu'il avait pu être blessé au
cours de la fusillade et être exécuté ensuite par le FBI. Contrastant
avec l'enquête intensive qui suivit la mort des agents Coler et Williams,
il ne fut fait aucune enquête sur la mort de Joe Stuntz Killsright.
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Bien que la mort des agents Coler et Williams n'ait probablement pas
été voulue, la provocation déclenchée par la fusillade
atteignit son objectif prémédité : la justification d'un assaut paramilitaire
massif contre l'AIM. Durant les jours suivants, il y eut plus de 180
agents du FBI sur Pine Ridge. Avec les officiers de police U.S, la police
du BIA et les goons, ils effectuèrent des raids durant les trois mois
suivants, à la fois sur Pine Ridge et sur la réserve voisine de Rosebud,
raids clairement destinés à terroriser les membres de l'AIM et ses sympathisants.
Des groupes furent équipés avec la panoplie complète de l'armement anti-guerilla,
dans le style de la guerre du Viet-Nam. Prétendant rechercher les participants
de la fusillade, ils enfonçaient les portes des maisons, conduisaient
des recherches sans mandat, procédaient à des saisies illégales, détruisaient
des biens privés, maltraitaient et menaçaient les habitants et arrêtaient
les gens avec des mandats illégaux. Un rapport de la Commission des
Droits Civiques note : "de nombreux rapports et plaintes contre des
menaces, harcèlements et perquisitions conduites en dehors des formes
légales..." et le président de la Commission, Arthur J. Flemming, décrivit
l'opération comme : "Une réaction excessive qui prit l'aspect d'une
vendetta (...) Une invasion de type militaire à grande échelle". En
dépit de la dimension et de l'intensité de la chasse à l'homme, aucun
des participants à la fusillade ne fut appréhendé sur Pine Ridge.
Afin de s'assurer le soutien de l'opinion publique à de si massives
violations des droits constitutionnels, le FBI conduisit une intense
campagne de désinformation. À travers tous les Etats-Unis, d'énormes
titres de journaux proclamaient la version du FBI selon laquelle les
malheureux agents, dans l'exercice de leurs fonctions, étaient, à Wounded
Knee, "tombés dans une embuscade tendue par des 'guerrilleros de l'AIM'
sortant de 'bunkers sophistiqués' ". Des journaux qui n'avaient pas
montré le moindre intérêt pour l'assassinat systématique de dizaines
de membres de l'AIM sur Pine Ridge, publiaient maintenant de sinistres
- et entièrement fictives - descriptions des agents exécutés suppliant
qu'on les laisse en vie, le corps criblé de balles de mitrailleuses.
La technique fut si efficace que, même les médias "libéraux" dénoncèrent
les victimes de cette vaste opération terroriste et non les coupables.
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