EDDIE HATCHER
Condamné et persécuté pour avoir dénoncé le crime et la corruption

En 1989 Eddie Hatcher, Indien Tuscarora, a été condamné à 18 ans de prison pour avoir dénoncé un trafic de drogue en Caroline du Nord dans lequel étaient impliqués des responsables politiques et des fonctionnaires de police. Au cours des sept dernières années, sa vie a été plusieurs fois menacée et il est toujours victime, aujourd'hui, de nombreux mauvais traitements. En février 1994, Bobby Castillo a présenté son cas devant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève.
L'histoire d'Eddie Hatcher ressemble étrangement à celle de Leonard Peltier et il tend, lui aussi, à devenir une figure emblématique des prisonniers politiques amérindiens.

Vers la fin des années 70, la cocaïne envahit le comté rural de Robeson en Caroline du Nord, au point qu'il acquiert le surnom de "petite Miami de la côte Est". Une vague de meurtre déferle sur la région, affectant les minorités ethniques. dont les membres seuls sont accusés de trafic. La plupart de ces meurtres, jamais élucidés, sont des exécutions pures et simples.
En 1987, un Amérindien est assassiné par le shérif adjoint Kevin Stone. Eddie Hatcher, lui-même Amérindien et militant pour les droits des minorités et des Blancs défavorisés, décide alors d'entreprendre une enquête sur la corruption et le trafic de drogue dans le comté de Robeson. Il obtient d'un indicateur fédéral qui avait travaillé avec le FBI et la DEA sur plusieurs grosses affaires de drogue, des cartes et des documents qui lui fournissent la preuve que 34 hommes d'affaires et officiers de police sont à l'origine
d'un large trafic de cocaïne couvrant tout un secteur de la Caroline du Nord. Parmi eux, on trouve le shérif Hubert Stone, le père de Kevin Stone.

Alerter l'opinion publique: une question de survie
Ces preuves en main, Eddie Hatcher alerte le FBI, le DEA et les douanes fédérales qui refusent tous de l'aider. Cette démarche ne réussit qu'à éveiller la méfiance du shérif Stone, qui sait désormais qu'Eddie détient des informations. Le shérif obtient la complicité du Bureau d'Investigation d'État et ensemble, ils décident "qu'ils auront Eddie Hatcher avant la fin de la semaine", ainsi que le révélera un témoin lors du procès. Eddie comprend qu'il n'a d'autre alternati-ve que d'attirer l'attention de l'opinion publique, ce qui le mettrait hors d'atteinte. Le 1er février, Eddie Hatcher et un autre militant amérindien, Timothy Jacobs, occupent les locaux du Robesonian Newspaper, retenant les 14 employés de ce journal local. Pendant plus de dix heures, Eddie négocie avec le gouverneur de Caroline du Nord. Ses revendications tiennent en quatre points: Il demande que des enquêtes sérieuses soient ouvertes sur le département du shérif du comté de Robeson et le système judiciaire local, sur la mort mystérieuse d'Amérindiens et de Noirs dans le comté, et sur la mort récente d'un jeune Noir dans la prison locale. Enfin, il demande que Timothy Jacobs et lui-même ne soient pas livrés aux autorités du comté. Il ne réclame ni amnistie, ni aucune autre faveur personnelle. Sept ans ont passé, et ni le shérif ni la justice locale n'ont fait l'objet d'une enquête. Bien au contraire, il a même été question en 1993 d'accorder une promotion au shérif Stone!
 

Un prisonnier politique maltraité et humilié
Le 1er février 1988, Eddie Hatcher est le premier citoyen américain à tomber sous le coup de la loi anti-terroriste de 1984. Il est accusé de prise d'orage et de conspiration contre les Etats-Unis. Il est également inculpé d'enlèvement par l'Etat de Caroline du Nord. Eddie est arrêté et incarcéré. Dans le courant du mois de février, il se voit refuser deux fois une libération sous caution.
Le 1er mars, l'inculpation d'enlèvement est abandonnée afin de favoriser les poursuites fédérales.
Au printemps, ses avocats se rendent en URSS pour faire connaître les cas d'Eddie et de Leonard Peltier. Le lendemain de la diffusion de cette information par la presse américaine, Eddie est transféré dans une autre prison, mis en isolement et privé de lumière!
Après deux autres procédures en appel, Eddie Hatcher est finalement remis en liberté sous caution début juillet. Deux mois plus tard, la Cour ordonne la réincarcération d'Eddie Hatcher, sans possibilité de caution. Celui-ci fuit l'État de Caroline du Nord déclarant qu'il ne reviendrait que pour son procès. Une prime est offerte par le FBI pour son arrestation.

Les témoins gênants sont éliminés
Depuis le mois de février, huit personnes ayant fourni des informations aux avocats d'Eddie ont été assassinées. l.es circonstances de leur mort n'ont tou-jours pas été élucidées. En septembre, une chasse à l'homme est lancée. Des centaines d'agents fédéraux harcèlent et menacent les membres de la communauté indienne du comté de Robeson. Eddie est finalement arrêté alors qu'il se rend à son procès. Lors du procès, les juges interdisent à Eddie d'être représenté par ses avocats. Après deux semaines de protestations, il se résout à se défendre seul. On limite ses possibilités de défense. Le 14 octobre 1988, malgré les diverses manipulations de la cour, les jurés reconnaissent Eddie Hatcher non coupable sur tous les chefs d'accusation. Eddie retourne travailler avec le Robeson Defense Committee, il essaye d'obtenir l'éviction du shérif Stone. Il reçoit des menaces de mort, et ses collaborateurs sont harcelés.
Le 6 décembre, Eddie Hatcher est à nouveau inculpé d'enlèvement puis il est libéré contre une caution de 25 000$.
l.a réserve Shoshone-Bannock de Fort Hall (Idaho) lui accorde la protection tribale en janvier 1989. Un membre de la communauté est aussitôt arrêté et interrogé par le FBI qui envisage d'enlever Eddie afin de lui faire franchir les frontières de la réserve, et de pouvoir ensuite le mettre en prison. Eddie se réfugie dans un autre Etat.
Le mois suivant, les avocats d'Eddie engagent des poursuites contre vingt fonctionnaires du comté de Robeson et de Caroline du Nord pour violation des droits constitutionnels.
Le 10 mars, Eddie Hatcher se réfugie au consulat d'URSS à San Francisco (Californie). Il y demande l'asile politique, mais il ne l'obtient pas. Il est arrêté par des agents fédéraux et rnis en détention à sa sortie du consulat.
À la fin du mois de juin, un juge californien ordonne son extradition (3) vers l'Etat de Caroline du Nord. Il est transféré à la prison du comté de Robeson.
En juillet, le shérif Stone fait transférer Eddie au quartier d'isolement maximal de la prison centrale de Raleigh.
Lors du procès, en automne 1989, on interdit une nouvelle fois aux défenseurs d'Eddie Hatcher de le représenter. Un avocat lui est commis d'office, mais Eddie déclare qu'il se défendra lui-même. Au cours de la procédure, un de ses avocats, le Pr. Naskell, tente de se faire entendre... Le juge l'inculpe d'outrage à magistrat et le fait expulser. Eddie, excédé, interpelle le juge et le traite de
"raciste, ségrégationniste...". Ce dernier fait évacuer Eddie de la salle d'audience, puis ordonne qu'il soit attaché et bâillonné. le 13 février 1990, après trois mois de procédure illégale (on lui a même interdit de consulter les livres de droit pour établir sa propre défense), de harcèlements constants et de menaces sur sa famille, et bien que tous les otages aient témoigné en sa faveur, Eddie Hatcher, toujours en isolement maximal, se voit infligé une peine de 18 ans de prison... pour l'inculpation qui avait été abandonnée en mars 1988 !
Eddie est autorisé à travailler en prison, mais on l'oblige à une journée de 16 heures alors que la loi n'autorise le travail des prisonniers que 8 heures par jour.
 

Poignardé par un co-détenu
En avril, un prisonnier à la solde de l'administration provoque un incident avec Eddie. Ce dernier retourne en isolement maximal pour 12 à 18 mois.
Puis on le transfère dans une autre prison où on l'empêche de se soigner d'un ulcère. Pendant toute cette période, les persécutions et les harcèlements sont de plus en plus nombreux.
Au début de l'année 1991, des gardiens font courir le bruit qu'Eddie est une "balance", ils espèrent ainsi que les autres prisonniers vont se retourner contre lui. Mais ceux-ci l'assurent de leur soutien et transmettent aux cadres administratifs de la prison et au gouverneur Martin, leur crainte qu'une tentative d'assassinat soit fomentée contre Eddie Hatcher. Ils ne recevront jamais de réponse.
Au mois de juin, le Robeson Defense Committee apprend que des employés de la prison essayent de dresser les détenus contre Eddie. Ils en informent le gouverneur, preuves et témoignages à l'appui.
Le 18 septembre 1991, Eddie Hatcher est poignardé quatre fois, avec un pic à glace, par un prisonnier qu'il n'avait jamais vu auparavant. Il souffre notamment d'une perforation du poumon et on le transfère dans un état grave à l'hôpital, en service de réanimation.
Dans une lettre adressée le 8 Octobre au Bureau d'investigation de Caroline du Nord, ainsi qu'aux journaux Raleigh News et Observer, l'agresseur d'Eddie avoue qu'il avait été engagé par des cadres de la prison pour "prendre soin d'Eddie". En échange, il devait bénéficier de certains avantages qui ne lui ont finalement pas été accordés.
 

Les persécutions continuent
A la suite de la tentative de meurtre, Eddie Hatcher est transféré à la prison de Odoni, à plus de 300 kilomètres de chez lui. Pendant cette période, les persécutions ne cessent de s'intensifier. Son compagnon Timothy Jacobs, qui avait été condamné à six ans de prison, est libéré sur parole en mars 1992. Fn février 1993, après quatre refus de mise en liberté conditionnelle, Eddie entame une grève de la faim pour protester contre la corruption au sein du Bureau d'Application des Peines. Il est de nouveau mis en isolement total. Cette même année, sa famille créée le Eddie Hatcher Defense Cornmittee, et lance une campagne pour le boycott des activités indtistrielles et touristiques de l'État de Caroline du Nord qui profitent principalement aux fonctionnaires corrompus et à ceux qui les soutiennent. En mai 1993, Eddie Hatcher est transféré àl'institution correctionnelle de Hoke où il demeure aujourd'hui. Il est toujours enfermé vingt-trois heures par jour. Il passe le plus clair de son temps à travailler sur ses dossiers et à aider les autres prisonniers dans leurs démarches judiciaires. Quand il en a les moyens, il publie un bullctin qui est distribué dans tout le pays.

Famille et avocats sont victimes de représailles
Après la tentative de meurtre, Thelma Clark, la mère d'Eddie, rendit visite au gouverneur Jim Martin. Ce dernier lui dit qu'Eddie subissait des persécutions et était mis en isolement à cause de ses activités politiques, et notamment à cause de la publication du bulletin. Il aurait précisé "Eddie devrait arrêter de prendre fait et cause pour tout le monde". Peu après, Thelma Clark déclarait "Depuis quatre ans, j'ai vu ce gouvernement faire des choses que je n'avais pas cru possibles dans ce pays. Mes enfants et moi avons été mis sous surveillance  nous devons utiliser des cabines téléphoniques pour éviter que le gouvernement n'intercepte nos conversations, nous avons été suivis par des voitures banalisées. J'ai vu des agents du gouvernement intimider et menacer des gens qui étaient venus a nos meetings. On a tiré sur notre maison. Aujourd'hui, les persécutions continuent..."
Quant aux avocats d'Eddie Hatcher, ils ont tous été victimes des représailles de la part du gouvernement. Les poursuites engagées en 1989 par William Kunstler, Barry Naskell et Lewis Pitt ont été jugées abusives par la Cour et les trois avocats ont été condamnés à payer une amende de 50 000$. Barry Naskell, professeur de droit jouissant d'une excellente réputation, a été condamné à une peine de pri-son potir outrage à magistrat et informé que l'État de Caroline du Nord était en train d'engager une procédure pour le faire rayer du barreau. Horace Locklear, avocat amérindien, a été lui aussi rayé du barreau, victime d'un coup monté par le shérif Stone.

Pour une dénonciation internationale
Le gouvernement des États-Unis condamne les pays qui détiennent des prisonniers politiques et qui violent les droits de l'homme. Or il y a aux États-Unis plus de 100 détenus reconnus par des personnalités, des organisations nationales et des associations religieuses comme étant des prisonniers politiques. Ces prisonniers ne sont pas qualifiés de politiques par le gouvernement américain qui essaye de dépeindre les Etats-Unis comme un Etat de droit, de liberté et de démocratie.
Eddie Hatcher se trouve parmi les 100 détenus reconnus comme prisonniers politiques. Le 28 novembre 1994, il s'est vu refuser la liberté conditionnelle pour la cin-quième fois et ce malgré sa conduite exemplaire. Son cas sera reconsidéré en février 1995. Chaque jour, le Bureau d'Application des Peines accorde la liberté conditionnelle à des prisonniers qui ont été condamnés àde plus lourdes peines (pour meurtre, viol, trafic de drogue) et qui ont passé moins de temps en prison qu'Eddie. Le cas d'Eddie Hatcher a été présenté, chaque année depuis trois ans, devant la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies en Suisse. Chaque fois, la délégation a voté pour le soutien d'Eddie Hatcher et a publié des déclarations dans ce sens.

Eddie Hatcher a été diagnostiqué séropositif en 1995.


1. Membre de Freedom Now, Commission nationale de soutien aux prisonniers politiques aux USA et porte-parole international de Leonard Peiner.

2. DEA = Drug Enforcement Agency (équivalent de la Brigade des Stupefiants).

3. Aux Etats-Unis les lois en vigueur peuvent différer d'un Etat à I'autre d'où la nécessité de procéder à une extradition