"Le nouveau colonialisme"
Par Mumia Abu-Jamal
Ecrit depuis le couloir de la mort le 10/10/2001.

"Les colonies ne perdent pas leur statut sous prétexte qu'elles deviennent indépendantes".
Benjamin Disraeli, Homme d'Etat Britannique. (1)

Les informations que l'on détient à propos des leaders politiques américains qui multiplient les entretiens remplis d'intensité avec le Roi déchu d'Afghanistan, sont la preuve que les États-Unis tentent d'imposer un roi en lieu et place d'une autre personne. Qu'y a-t-il de mal à cela, Messieurs ? Quelle logique accorde-t-on à cette nation qui réclame la démocratie, avec force armes et moyens militaires, lorsqu'elle tente d'imposer un nouveau roi à un peuple étranger ?

Muhammad Zahir Shan, un octagénaire qui fut renversé du trône afghan en 1973, vit depuis à Rome et a été préparé pour être remis à la tête de l'état depuis Kabul par le gouvernement américain.

Exilé du pays d'où il naquit depuis quasiment 30 ans aujourd'hui (28, pour être précis), pourquoi l'Etat Américain souhaite-t-il le remettre au pouvoir alors que le peuple afghan s'en est totalement désintéressé depuis presque trois décades ? Il est difficile de ne pas y voir la tentative des USA d'installer une marionnette qu'ils puissent manipuler, contrôler et diriger. Ce qui semble clair est que les USA réalisent, cette fois-ci sous couvert militaire, ce qu'ils ont entamé auparavant dans la région à travers l'espionnage. Dans les années 50, la CIA provoqua la destitution de l'homme fort des Iraniens, Muhammad Mossadegh, au profit du Shah, ce qui entraîna l'Iran dans un rôle d'État répressif, afin de garder le pétrole sous contrôle occidental. Les Afghans seraient-ils trop primitifs (aux yeux américains) pour apprécier les principes fondamentaux de la démocratie ? Ce qui ressort de cette tentative américaine d'installer un potentat est la preuve que les Américains n'ont pas vraiment comme intérêt principal la démocratie.

Quasiment tous les pays de la région, que les USA dénomment alliés, sont aussi éloignés de la démocratie que la Terre peut l'être de la Lune. Si les États-Unis se souciaient des démocraties, pourquoi la politique étrangère pour la dernière moitié de siècle a-t-elle était la protection, le soutien et l'armement de dictateurs anti-démocratiques ? De Marcos aux Philippines, à Suharto en Indonésie, les Duvaliers à Haïti, et Mobutu au Zaïre, et ainsi de suite. En effet, il n'est besoin d'aller si loin. Les récentes élections en Floride, qui ont mis à jour des profils raciaux et ethniques d'électeurs Noirs, Haïtiens ou Juifs, privèrent les individus rentrant dans ces profils d'un vote et donc d'une action pleine de sens au sein de la démocratie américaine, prouvent que les Américains n'ont pas besoin d'aller chercher loin pour protéger la démocratie. Il y a quelque chose d'inconvenant de la part d'une nation qui est née en gagnant son indépendance face à une royauté, d'imposer un roi à un peuple étranger. Démocratie bien ordonnée commence à la maison.
(c) MAJ 2001

Text (c) copyright 2001 by Mumia Abu-Jamal.
All rights reserved. Reprinted by permission of the author.

Traduction  : David

Les notes ne figurent pas sur l'article original mais ont été rajoutées pour informations.

(1) Benjamin Disraeli (1804-1881), alias Sir Beaconsfield, ministre anglais écrivit en 1844 dans son roman Coningsby pages 183-184 :
"Le monde est gouverné par de tout autres personnages que ne l'imaginent ceux dont l'œil ne parvient pas derrière les coulisses".
Le 20 novembre 1876, dans un discours prononcé à Aylesbury, il dit : "Les gouvernements de ce siècle ne sont pas en relation seulement avec les gouvernements, empereurs, rois et ministres, mais aussi avec les sociétés secrètes, éléments dont on doit tenir compte et qui au dernier moment peuvent annuler n'importe quel accord, qui possèdent des agents partout - agents sans scrupule qui poussent à l'assassinat, capables, si nécessaire, de provoquer un massacre". (Yann Moncomble : "L'irrésistible expansion du mondialisme" Paris, 1981, page 212).
Voilà des éléments avec lesquels il faut compter lorsqu'on souhaite analyser les évènements qui se passent dans les politiques nationales et mondiales.

 

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